GERWAL

Cortex délirium

 

CORTEX DELIRIUM

 

 

Quelque-part, dans l'une des innombrables circonvolutions qui composent les hémisphères de ton cerveau, au niveau du cortex, ou ailleurs, un amas indistinct de neurones garde dans les jonctions occultes de ses synapses électromagnétiques quelques images furtives et spasmodiques.

 

Pas celles, convenues et convenables que tu retrouves dans ta mémoire faillie, à chaque rencontre d'anciens ceci-cela, ou quand il n'y a plus rien à dire et que, quand on n'a plus rien à dire, il faut bien causer quand même, et pourquoi pas, de ceci, ou de cela...

 

 

Mais tu voudrais parler (mais tu ne peux pas) de ces images chimériques qui reviennent parfois, avec une lancinance immuable et que, le plus souvent, tu chasses à l'extrême bord du champ de vision de ta conscience... Celle de ton premier cri primal et le revécu de ta gorgée d'oxygène initiale dans la fulgurance d'une luminosité éclatante d'apocalypse... et l'autre plus archaïque encore, de la descente vertigineuse de ce que tu n'appelles pas encore ton souffle, au sein d'une matrice douce et pourpre, tempérée comme un océan amniotique...

 

Et aussi, et dans un autre temps et en dehors de ton continuum familier et intime... Cette ville, où tu viens pour la première fois et où tu redécouvres cette façade, cette ruelle devant laquelle tu es passé mille fois, hier, auparavant, jadis ou naguère... Ce sentiment éphémère mais persistant d'être ton propre jumeau solitaire, illusoire et ignoré dont tu n'aurais pas encore fait connaissance (pas fait co naissance)... Ce rêve, dans lequel tu te demandes si tu rêves que tu es en train de rêver que tu fais un rêve qui... un rêve si étrange... Être ange, même en rêve, rien qu'un instant étiré sur un fragment de seconde, ou abrégé sur un amoncellement d'éternités...

 

Et aussi, tu revis et revois... Des pleurs, si peu nombreux, pour ton enfant mort-né, ce garçon que ton époux désirait tant, l'année de la grande peste... Le poids écrasant de ces pierres sous le soleil, tirées, hissées, pour la pyramide à la gloire de Pharaon... Une crainte irraisonnée, venue du fond des âges, quand le chef de ton clan vous présenta les premières braises domptées par l'humanité... La joie enfantine de voir, au son d'un tambour lancinant, revenir la pluie sur les terres sèches et rudes de tes ancêtres... Instants mêlés...

 

 

Ailleurs... dans le système limbique qui prélude à ton cerveau reptilien tu crains de retrouver les souvenirs qui ne sont déjà plus et n'ont jamais été, mais qui seront pourtant (et en dépit de toute ta volonté) et qui seront tes de venirs...

Tu as parfois, en effet, cette vision fugace des images que le magicien halluciné ne peut discerner, pas même dans les arcanes impuissantes d'un Tarot de Marseille stupéfait ni dans les viscères muettes d'un corbeau sacrifié en vain... tu connais déjà, avec une certitude aiguisée comme un cri, le lieu et le moment précis où disparaitra dé-fi-ni-ti-ve-ment cette odeur pharmaceutique tenace qui imprégnait encore tes fosses nasales, bien après qu'un médecin pâle ait débranché, d'un geste d'impuissance résignée, les derniers tubes qui te reliaient à un univers palpable... ou encore, le lieu et le moment précis où les tôles broyées et incandescentes d'un avion disloqué perforeront avec une lenteur mesurée les os calcinés de ta cage thoracique et ton abdomen ensanglanté, mêlant à la brulance de l'air embrasé de vapeurs combustibles, la pestilence molle de tes entrailles exposées comme une offrande obscène à un ciel indifférent... ou encore la froideur de cette lame incongrue et imméritée, juste entre tes omoplates frémissantes d'incompréhension stupide...

 

 

Et tu sais. Tu sais tout cela. Et tu sais que tu sais.

Mais tu sais que si tu sais, la folie au bec noir, et rouge de ses yeux, la folie t'emportera sur ses ailes parcheminées, vers des nuées ténébreuses aux âpres phosphorescences zébrées et stridentes, ou aux tréfonds d'abysses incandescents et fuligineux.

Alors, rejetant dans un spasme cet ersatz de schizophrénie-paranoïde, tu te fermes aux messages inintelligibles reliés par les reliquats de ta fontanelle quasi ombilicale et mystique, branchée à ton insu sur les réalités non-euclidiennes d'un cosmos allégorique.

Alors, tu fais semblant, tu fais celui qui ne sait pas, ne sait plus... et tu regardes l'horizon sépia qui ne te parle plus, même pas par de sibyllins augures.

Alors, tu grattes dans le fond de tes poches, quelques miettes dérisoires de la poussière de ton passé étiolé que tu jettes aux vents écartelés et pétrifiés, vers une lune pâle et indifférente aux paradoxes des oracles stratifiés d'un zodiaque inéluctable et incertain.

 

 

Quelque-part... dans l'une des innombrables circonvolutions qui composent les hémisphères de ton cerveau, au niveau du cortex, ou bien, dans le système limbique qui prélude à ton cerveau reptilien, une ultime connexion vient de s'éteindre.

Ailleurs... au même moment précis, dans une galaxie équivoque et lointaine, une étoile rougeoie violemment avant d'expirer dans une explosion étincelante de sombres particules ionisées.

Ici... et dans l'exactitude instantanée d'un synchronisme parfait, au Brésil ou en Chine, un papillon en meurt, inexorablement.

 

 

Quelque-part... dans l'une des innombrables circonvolutions qui composent les hémisphères de ton cerveau, au niveau du cortex, ou bien, dans le système limbique qui prélude à ton cerveau reptilien, une ultime connexion vient de s'éteindre.

Mais c'est bien ainsi.

Dis-tu...

 

 

 

 

 

 

 



17/01/2012
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