GERWAL

Le roi, la princesse et le vagabond

Le roi, la princesse et le vagabond

 

 

Prologue

 

Dans le lointain, on aperçoit un château: une forteresse de pierres grises sous un ciel sombre. Cela se situe dans un pays et en des temps imaginaires (ou peut-être pas...).

 

« C'était un temps déraisonnable,

« On avait mis les morts à table,

« On faisait des châteaux de sable,

« On prenait les loups pour des chiens... »

...

« Le ciel était gris de nuages,

« Il y volait des oies sauvages

« Qui criaient la mort au passage

« Au-dessus des maisons, des quais... »

Léo F. (1916-1993)

 

« Les hommes avaient perdu le goût

« De vivre, et se foutaient de tout,

« Leurs mères, leurs frangins, leurs nanas

« Pour eux c'était qu'du cinéma... »

Serge R. (1922-2004)

 

 

Chapitre 1

Ah! Mon beau château,
Ma tant' tire lire lire...
Ah! Mon beau château,
Ma tant' tire lire la...

 

Il était une fois un royaume si petit que son armée ne comptait que trois soldats:

Il y avait d'abord Meroc'h, le fantassin qui, à la suite d'un enchantement accordé par la reine, un peu fée et un peu magicienne, était quasi invincible: en effet, il ne pouvait trouver la mort que si il avait le crane fracassé.

Il y avait ensuite Herdfeld, le cavalier qui, à la suite d'un charme alloué par la reine, un peu magicienne et un peu sorcière, était quasi invincible: en effet, il ne pouvait trouver la mort que si il avait la gorge tranchée.

Il y avait enfin Guemard, l'archer qui, à la suite d'un sortilège jeté par la reine, un peu sorcière (et même beaucoup...), était quasi invincible: en effet, il ne pouvait trouver la mort que si il avait le cœur transpercé.

 

Le roi, qui s'appelait Héphidase Ier, et qui était le capitaine de cette armée, possédait un bouclier fabuleux en émeraude et une épée enchantée en rubis, offerts par la reine: le bouclier le mettait, bien sur, à l'abri de tout coup porté contre lui quelle que soit l'arme utilisée, mais lui permettait de nombreux autres prodiges, tels que devenir invisible aux yeux de qui il souhaitait, deviner les pensées de tout un chacun, se rendre instantanément dans quelque endroit éloigné, etc... l'épée avait le pouvoir de tuer n'importe quel homme ou animal simplement en la dirigeant dans sa direction, ainsi, d'un simple geste du poignet, il était possible de détruire tout un régiment à une distance de plusieurs lieues; elle pouvait aussi ébranler les murailles, fendre les rochers, incendier les forêts, et bien d'autres merveilles...

Bien entendu, de tels pouvoirs ne tardèrent pas à détourner le roi du droit chemin de la charité, de la justice et de la paix: outre la crainte qu'il inspirait à ses propres sujets, il répandait une terreur sans nom dans tous les pays avoisinants, cherchant des querelles pour son simple plaisir, sans besoin de conquête, juste pour s'esbaudir et afficher sa force.

 

Cependant, ce roi avait une fille unique, issue de son treizième mariage avec Hilderolde, la reine actuelle, une fille aussi belle et douce que le roi était cruel et sanguinaire. Cette princesse, qui répondait au joli nom de Bellédouce, fut bientôt en âge de se marier. Il fut convenu que celui qui parviendrait à la libérer du donjon où elle vivait enfermée depuis son enfance obtiendrait sa main. Et sa dot.

Beaucoup de princes, de seigneurs, de comtes et de ducs, venus de contrées lointaines y laissèrent leur vie; les princes, seigneurs, comtes et ducs du royaume et des pays proches ayant vite compris le piège ne tenaient pas plus que ça à affronter les soldats du roi qui gardaient, ensemble ou à tour de rôle, l'accès au donjon. (Je parle ici des rares survivants).

Et il en vint de partout, par centaines: à pieds, à cheval ou en chars-dassôs, des hommes à la peau blanche ou brune, rouge ou jaune... vêtus de soieries, d'airain, de plumes ou de cuir... armés de glaives, de masses, de coutelas et même de bombaches... mais aucun ne retourna chez lui, ni sain ni sauf.

 

 

Chapitre 2

Cadet Rousselle a trois cheveux,
Un pour chaqu'face, un pour la queue,
Pourtant parfois avec adresse,
Il les met tous les trois en tresse,

 

Or, un jour, un vagabond nommé Chédéric qui passait par hasard dans la région, entendit parler de tout cela et fut charmé par la beauté et par la douceur de la princesse. Et aussi, un peu intéressé par sa dot. Aussi, il décida de tenter sa chance, en espérant réussir par la ruse, là où la force avait échoué. Il était malin...

 

Le premier jour, il se déguisa en savant, et se présenta devant Méroc'h, qui était de garde au donjon:

« - Dis-moi, toi qui me semble posséder une telle intelligence et tant de perspicacité, peux-tu jeter un coup œil à cet ouvrage que je rapporte des Pays des Étoiles », dit-il en lui donnant un livre curieusement relié...

« - Oh... étranger, répondit-il, je n'ai point trop de temps avec toutes ces questions, certes fort intéressantes au demeurant, et ça finit par me casser la tête... », répondit-il en reposant l'ouvrage après avoir parcouru quelques lignes.

Et en prononçant ces mots, il tomba raide mort...

Héphidase, averti on ne sait comment, arriva aussitôt pour corriger le coupable. Le vagabond n'eut que le temps de se débarrasser de son déguisement et s'écria:

« - Sire, vous devinez bien que je ne suis qu'un pauvre indigent, comment aurais je le courage de m'attaquer à vos soldats et l'effronterie de vouloir épouser votre fille? »

Le roi dut bien s'avouer que ce pauvre va-nu-pieds ne saurait avoir commis cet exploit, il vérifia la serrure de la porte du donjon et retourna à ses occupations.

La reine en fut fort étonnée et elle s'en alla rechercher dans ses activités habituelles de reine un dérivatif à sa contrariété bien compréhensible.

 

Le deuxième jour, il se déguisa en ménestrel, et se présenta devant Herdfeld, qui était de garde au donjon:

« - Dis-moi, toi qui me semble posséder un tel discernement et tant de sensibilité, veux-tu bien me dire ce que tu éprouves à lire ce poème? », dit-il en lui tendant un parchemin bellement enluminé...

« - Eh... étranger, répondit-il, que ces vers sont splendides et cette histoire pathétique... j'en ai le souffle qui se noue et la gorge coupée... non... c'est le contr... », répondit-il après avoir commencé de lire cette poésie et en avoir admiré les images...

Et en prononçant ces mots, il tomba raide mort...

Héphidase, averti par quelque mystère, arriva aussitôt pour punir le coupable. Le vagabond n'eut que le temps de se débarrasser de son déguisement et s'écria:

« - Majesté, vous voyez bien que je ne suis qu'un pauvre miséreux, comment aurais je l'audace de m'attaquer à vos soldats et l'insolence de vouloir épouser votre fille? »

Le roi dut bien admettre que ce pauvre traine-guenilles semblait bien incapable d'une telle prouesse, il contrôla les grilles de la fenêtre du donjon et retourna à ses activités.

Fort ébaubie fut la reine, et point ne trouva de divertissement pour son émoi oublier. Elle resta éveillée à se demander le pourquoi du comment.

 

Le troisième jour, il se déguisa en troubadour, et se présenta devant Guemard, qui était de garde au donjon:

« - Dis-moi, toi qui me semble posséder une telle réceptivité et tant de délicatesse, veux-tu bien écouter cet air que j'ai composé? », dit-il en sortant de sa besace une flûte de rosieau et un tambourin en peau de pistrelle...

« - Ah... étranger, répondit-il, quelle splendide mélodie, si belle et si triste, j'en ai le cœur percé jusque z'au plus profond de... », répondit-il après avoir écouté la musique avec attention et recueillement.

Et en prononçant ces mots, il tomba raide mort...

Héphidase, averti comme par magie, arriva aussitôt pour châtier le coupable. Le vagabond n'eut que le temps de se débarrasser de son déguisement et s'écria:

« - Votre Altesse, vous savez bien que je ne suis qu'un pauvre nécessiteux, comment aurais je la force de m'attaquer à vos soldats et l'outrecuidance de vouloir épouser votre fille? »

Le roi dut bien reconnaître que ce pauvre crève-la-faim n'avait rien d'un preux capable de surprendre et de tuer ses valeureux soldats... Intrigué et dépité, il alla faire un petit somme.

La reine en fut fort décontenancée et ne put fermer l'œil de la nuit. Ce n'est qu'au petit matin qu'elle s'écria: « Mais, bon sang... mais c'est bien sur... », en tapant sur la table de ses petits poings.

 

 

Chapitre 3

Tremp' ton pain, Marie ,
Tremp' ton pain, Marie ,
Tremp' ton pain dans ta sauce .
Tremp' ton pain, Marie ,
Tremp' ton pain, Marie ,
Tremp' ton pain dans le vin ...

 

Chédéric n'était pas peu fier... si son cousin Hartaban, le voyait! Lui, l'humble trimardeur, le pauvre chemineau, parvenir à force de malignité, là où les plus habiles combattants des mondes connus et inconnus avaient péris, ce n'était pas de la crotte de musine... Bien sur, ces trois gardes n'étaient que des rustauds, mais quand-même... Mais cette fierté était pourtant tempérée d'un peu de crainte à propos de la réaction du roi, qui ne devrait pas tarder à se manifester, et ça risquait de chauffer pour son matricule. Aussi, passait-il une grande partie de son temps, de taverne en taverne, tant pour se vanter auprès des gandrinots dubitatifs que des mérlêches admiratives, que pour oublier que ça risquait de perdouiller-grave d'ici peu. Le reste de son temps, il le passait à essayer de faire passer sa gueule de bois, en errant sur les landes et les plages, dans les prairies et les bois.

 

Le septième jour, Chédéric revêtit une armure de cristal, qu'il avait trouvée au pied d'un vieil arbre, près des vieilles ruines qui sont sur la plus vieille montagne du pays (chacun sait que le cristal a le pouvoir d'abolir ou d'annihiler de nombreux sorts et enchantements; d'autre part c'est fou ce que les gens jettent ou oublient n'importe où, je vous ferais dire...). Aussi, quand il voulut affronter le roi, qui était de garde au seuil de la chambre de sa fille, Chédéric revêtu de cette armure (magique, en fait, puisque chacun sait que le cristal a le pouvoir d'abolir ou d'annihiler de nombreux sorts et... -ah, oui... pardon de me répéter-), ne craignait-il ni les effets de l'épée ni ceux du bouclier magiques... Voyant cela, courageux mais pas téméraire le roi refusa le combat, et donna la main de sa fille à ce drôle de satané vagabond... Et aussi sa dot... Plus quelques autres menues babioles supplémentaires: coffres de pièces d'or et de pierres précieuses, arpents de prairies, de vignes et de forêts, pièges à licornes, filets à sirènes... plus quelques châteaux et autres bâtisses, et deux ou trois titres de noblesse... la famille, c'est sacré.

 

Les noces furent fabuleuses et durèrent plusieurs jours, avec des milliers d'invités: princes, seigneurs, comtes et ducs, à la peau blanche ou brune, rouge ou jaune, vêtus de soieries ou d'airain, de plumes ou de peaux... et même des gens du petit peuple du royaume et des royaumes voisins, sans compter les inévitables pique-écuelle.

Bien sur, Bellédouce et Chédéric furent les héros de cette fête inoubliable, tant il y avait de musiciens et de jongleurs, de hérauts et de chroniqueurs, de cuisiniers et de rôtisseurs...

 

Mais Héphidase connut un beau succès en reconnaissant et en regrettant sincèrement et publiquement, devant le monde entier, toutes ses erreurs et ses crimes, et en exhortant chacun de ses convives à bannir l'ambition, la brutalité et la force dans leurs rapports entre eux et envers les autres.

C'est ainsi que tous les rois, empereurs, présidents et ambassadeurs de tous les pays décidèrent de ne plus jamais avoir recours à la violence ou à la guerre, pour quelque motif que ce soit, suivis avec enthousiasme par tous leurs citoyens unanimes...

 

 

Épilogue

 

...Et depuis ce temps, une paix universelle règne enfin, entre chaque individu, chaque peuple, chaque pays, chaque nation... sur la Terre devenue sage.

 

Et c'est bien... et c'est beau.

Comme nous l'avaient prédit les poètes en attendant cet heureux temps...

 

« Nous aurons du pain,

« Doré comme les filles

« Sous les soleils d'or.

« Nous aurons du vin,

« De celui qui pétille

« Même quand il dort. »

...

« Nous aurons du sang

« Dedans nos veines blanches

« Et, le plus souvent,

« Lundi sera dimanche.

« Mais notre âge alors

« Sera l'âge d'or. »

Léo F. (1916-1993)

 

« Quand les hommes vivront d'amour,

« Il n'y aura plus de misère

« Et commenceront les beaux jours

« Mais nous nous serons morts, mon frère... »

« Quand les hommes vivront d'amour,

« Ce sera la paix sur la terre

« Les soldats seront troubadours,

« Mais nous nous serons morts, mon frère... »

Raymond L. (1928-.....)

 

 

Fin

 

 

 

 

.o0O0o.

 

 

 

 

NOTES DE L'AUTEUR

1/ Bon... Si vous avez été assez naïf pour croire en cette histoire de soldats prodigieux, d'armes magiques, de vagabond fabuleux et tout le reste, je suppose que vous êtes aussi assez crédule pour croire en cette histoire de paix universelle et de béatitude qui règneraient partout... Alors, gardez vos commentaires désobligeants pour vous.

Merci.

 

2/ D'autre part: on apprit, par la suite, dans quelque chronique retrouvée dans une très ancienne bibliothèque d'un monastère en ruines, que c'est en fait la reine Hilderolde elle-même, lassée des turpitudes, des ignominies, des forfaitures et des exactions de son époux, qui avait forgé la fameuse armure de cristal à la taille du vagabond, quand elle eut découvert son intégrité, son audace et son habileté, ainsi que les dangers qu'il courrait, c'est elle également qui lui en fit entrevoir les possibilités magiques qu'il ne soupçonnait pas, et elle qui, évidemment mena ses pas auprès du vieil arbre mort où il fit cette découverte déterminante.

Bon... si vous avez lu tout ceci jusqu'à la fin et que vous étiez prêt à y croire aussi... Je ne peux vraiment plus rien pour votre cas...

 

 



01/07/2011
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